#Crowdfunding : comment financer son projet éditorial ?

Les binômes du Labo de l’Edition se penchent ce jeudi 23 janvier 2014 sur l’alliance entre édition et plateformes de crowdfunding. Le mouvement du « financement participatif », depuis cinq ans en France, permet de créer de nouvelles opportunités pour le secteur de l’édition traditionnelle et numérique, en facilitant la réalisation de projets créatifs.

La table-ronde réunit un acteur du crowdfunding, Alexandre Boucherot, fondateur du leader européen du crowdfunding, Ulule ; et deux porteurs de projets éditoriaux, Marc Frachet, auteur du projet transmedia Incarnatis et David Meulemans, fondateur de la maison d’édition Aux Forges de Vulcain et créateur du projet d’édition française de la bande-dessinée Das Kampf.

labo de l'edition-crowdfundingL’expérience des trois intervenants autour du crowdfunding appliqué à l’édition permet de nourrir le débat sur les enjeux de cette nouvelle pratique, mais aussi de partager leurs apprentissages sur la bonne conduite d’une campagne de financement participatif.

Le crowdfunding, qu’est-ce que c’est ?

Outils numériques d’aide à la création, les sites de crowdfunding s’inspirent du modèle traditionnel de la collecte de fonds, ou la mise en commun d’une multitude d’apports financiers individuels à la réalisation d’un projet.

En proposant une mise en forme claire du message et en s’appuyant sur les ressources du web communautaire, des plateformes comme Ulule ou KissKissBankBank deviennent depuis quelques années en France les principaux intermédiaires entre le public et les individus « porteurs de projets ». Créatifs, mais aussi humanitaires et entrepreneuriaux, les projets proposés sur ces sites ont tous en commun d’être dépendants du soutien des cercles relationnels (plus ou moins proches) de ceux qui les lancent. Les micro-financements de la communauté ne sont pas rétribués par un retour financier sur investissement, mais par une contrepartie, variant de la dédicace aux goodies (affiches, cartes, tee-shirts, etc.) selon le projet.

Labo de l'édition crowdfunding contrepartiesLe crowdfunding appliqué à l’édition

Très médiatisé pour son impact sur la création musicale et cinématographique, le crowdfunding gagne du terrain en édition, à travers les revues et la bande-dessinée notamment. Ainsi, La Revue Dessinée, mêlant bande dessinée et actualités, a collecté plus de 36 000 euros grâce à plus de 700 soutiens lors de sa campagne sur Ulule. Si les deux genres, ainsi que celui des beaux-livres, sont particulièrement appréciés des plateformes, c’est pour leur caractère visuel fort. Pour autant, la littérature n’est pas en reste sur les jeunes plateformes de crowdfunding dédiées aux projets éditoriaux, telles que Unbound en Angleterre, Pubslush aux Etats-Unis, 100 Fans en Allemagne ou encore Bibliocratie en France et Sandawe (pour la BD) en Belgique.

Sur Ulule, Alexandre Boucherot nous présente le projet Katarakt !, un album de bande dessinée fantastique réalisé par une association nantaise. En cinq jours, le projet a recueilli les 5 500 euros nécessaires à l’impression, et continue sa campagne pour la préparation d’un deuxième album.

labo de l'édition crowdfunding kataraktL’édition sur Ulule représente environ 300 projets en 2013 et 700 000 euros collectés, avec un taux de réussite de 65%. Ces succès dessinent le futur de l’édition financée par le crowdfunding, où les rôles traditionnels d’auteurs, éditeurs et lecteurs sont à repenser.

Redéfinition des rôles : éditeur, auteur, plateforme de crowdfunding

Le système du crowdfunding induit des transformations fonctionnelles dans le secteur du livre, qui peuvent conduire l’éditeur à aménager sa ligne éditoriale en tenant compte du rôle prescripteur du lecteur, et pousser l’auteur à assurer lui-même le travail communicationnel autour de son œuvre.

Labo de l'édition crowdfunding éditeurs            Le rôle de la plateforme, nous l’explique Alexandre Boucherot, est d’accompagner les maisons d’édition ou les auteurs dans la mise en place du projet. « Intermédiaire agnostique », Ulule se perçoit comme un laboratoire de projets originaux, donnant une chance aux œuvres qui ne bénéficient pas d’un accès aux structures traditionnelles (des projets de niches, des formats innovants). Le site fait connaître les projets à leurs publics, mais ne joue pas le rôle d’éditeur. C’est aux projets d’évoluer de manière autonome et de trouver leur communauté. De la même manière, le porteur du projet conserve la propriété intellectuelle de son œuvre, c’est à lui de déterminer les contreparties qui convaincront ses soutiens.

Le statut particulier des plateformes de crowdfunding est au cœur des préoccupations du ministère de l’Innovation et de l’Economie Numérique, comme l’exprimait Fleur Pellerin lors des Assises du financement participatif le 30 septembre 2013. Des mesures d’assouplissement du cadre légal encadrant les prêts aux particuliers doivent être prises courant 2014.

            Au-delà d’une réflexion sur les enjeux du crowdfunding, l’objectif de cette rencontre est aussi de bénéficier des expériences positives de Marc Frachet et David Meulemans. A partir des présentations et de l’analyse de ces deux campagnes de crowdfunding, le Labo de l’édition vous propose un guide des bonnes pratiques pour le financement participatif d’un projet d’édition.

Le guide du Labo pour financer un projet d’édition grâce au crowdfunding

  • Avant le lancement de la campagne…

Connaître son public

Un projet crowdfunding n’existe que par son audience, sa capacité à fédérer une communauté autour de lui. Il s’agit donc de définir dans le même temps le sujet et le public à toucher. Pour cela, les sites de crowdfunding proposent d’avoir recours à la théorie des trois cercles de sociabilité.

Labo de l'édition trois cerclesLe premier cercle, celui de vos proches, est le premier à être mobilisé sur un projet crowdfunding. Pour David Meulemans, la première difficulté a été d’attirer son premier cercle, le lectorat fidèle de la maison Aux Forges de Vulcain, vers le projet de bande-dessiné underground publié aux États-Unis en 1963. Nouveau genre à son catalogue, habituellement constitué de romans et essais, la bande-dessinée n’a pas su trouver son public parmi les lecteurs fidèles de la maison. L’éditeur déconseille donc d’opter pour le financement participatif lors de la publication d’une œuvre d’un genre nouveau à son catalogue, au risque de ne pas toucher son premier cercle. Cette première audience se charge de communiquer le projet au deuxième cercle, les amis d’amis, facilement touchés sur les réseaux sociaux. Si la viralité du projet grandit, on peut espérer atteindre le troisième cercle, de parfaits inconnus qu’une bonne communication peut mobiliser.

les-trois-cercles-financement-communautaire-crowdfunding-2Il n’existe volontairement pas de typologie des « ululeurs », mais ceux-ci forment un public curieux et attentif qui peut rejoindre votre cause (le meilleur souscripteur sur Ulule a financé plus de 160 projets !). Alexandre Boucherot insiste sur la capacité du projet à produire de l’information vers un public de plus en plus large à travers un processus naturel d’amplification. Chaque projet possède un momentum.

Définir ses objectifs : budget, deadline, contreparties

L’intervention de Marc Frachet, auteur du récit transmedia Incarnatis, met en évidence l’importance du travail préparatoire pour mener une bonne campagne de crowdfunding. Avant tout, déterminer le budget et la deadline. Les deux projets présentés ont été en campagne pendant deux mois, pour un budget d’environ 5000 à 6000 euros, permettant de couvrir les frais d’impression et de port (pour les contreparties), ainsi que la commission du site (8% pour Ulule). C’est la transparence qui prime.

En tant qu’éditeur, une campagne de crowdfunding doit être clairement explicitée : si elle permet de découvrir l’appétence du public pour une œuvre originale, elle ne peut pas servir uniquement de source de revenus secondaires pour assurer la publication d’un titre.

Labo de l'édition éditeurs crowdfundingEnfin, les contreparties doivent correspondre au projet et être correctement hiérarchisées en fonction du don. Il peut s’agir d’un exemplaire papier ou de sa version numérique, ainsi que des « bonus » dérivés du projet.

Communiquer en amont

Pour David Meulemans et son projet Das Kampf, l’absence de communication préalable à la campagne a été préjudiciable. Une campagne réussie est celle qui remporte l’adhésion du public, il faut donc prouver son engagement avant même de lancer l’appel aux dons. Une forte présence sur les réseaux sociaux, dans l’optique d’attirer le deuxième cercle, est primordiale. Pour cela, il faut s’assurer d’un contenu multimédia nécessaire à la communication : vidéos, images, sons pour servir le projet et générer un effet d’attente !

  • Pendant toute la durée de la campagne…

Faire du storytelling

La mise en place effective du projet sur la plateforme est particulièrement encadrée par les CMS des sites. La structure de la page web est normalisée, et l’accompagnement du site peut s’exprimer dans le choix du titre, du texte ou des visuels. Pour Ulule, l’histoire qui s’est tissée autour du projet est la pierre angulaire qui assure le succès d’une campagne. Le storytelling se déploie à travers un plan de communication étendu : dans le cas d’Incarnatis, un site Internet dédié a été créé, ainsi qu’une plaquette papier, des bandes annonces et des comptes sur les réseaux sociaux.

labo de l'édition incarnatis transmediaAssurer un suivi quotidien

De plus, un suivi quotidien est nécessaire pour conserver le dynamisme de la campagne. Accumuler les projets sur le temps d’une campagne est une erreur à ne pas commettre : pour David Meulemans, il a suffi d’un trou d’air d’une quinzaine de jours dans la communication pour perdre l’enthousiasme généré lors de la découverte du projet.

  • Une fois la campagne terminée…

Conserver l’attention et la confiance

La construction d’un dialogue avec ses souscripteurs s’élabore autour d’une confiance mutuelle. En cas de retard (9 sur 10 projets d’édition sur Ulule), il faut informer ses soutiens. En expliquant que sa maison d’édition prendrait en charge la dernière partie de la somme à collecter (pour éviter le risque d’annulation, dit « opération blanche » avec remboursement immédiat des dons), David Meulemans a pu conserver la relation privilégiée avec son public, qu’il mobilise aujourd’hui sur un nouveau projet : DraftQuest,  Manuel pour écrire son premier roman.

DraftQuest Labo de l'editionProfiter d’un effet de levier

La campagne de crowdfunding est un excellent moyen pour l’éditeur de connaître son public avant même la publication d’une œuvre. Un succès sur une plateforme peut peser dans les discussions pour négocier d’autres apports financiers. Elle sert de vitrine, d’échantillon et de lieu d’échange pour le porteur d’un projet innovant ou créatif.

Les limites du système

Se lancer dans l’aventure du crowdfunding éditorial nécessite donc un travail conséquent. Pour autant, les avantages sont nombreux pour les professionnels de l’édition et les auteurs. Longtemps privilégié par les particuliers, le financement participatif est aujourd’hui conquis par les entreprises qui cherchent à limiter les prises de risques financiers. La conquête professionnelle du secteur est à surveiller, même s’il ne s’agit que « d’exemples qui ne font pas système » pour Ulule.

crowdfunding labo de l'édition veronica marsAinsi, aux États-Unis, la campagne de crowdfunding visant à réaliser le film Veronica Mars a récolté plus de 5,7 millions de dollars, alors même que le film est distribué par les studios Warner Bros. Il en va de même pour Spike Lee, qui a récolté 1,4 millions de dollars pour son prochain film. En choisissant Kickstarter, la plus célèbre plateforme de crowdfunding née aux États-Unis en 2009, les deux porteurs de projet ont récolté des dons en échange de contreparties non-financières et conservent ainsi la propriété totale de leurs productions. Les bénéfices de la sortie en salles des deux films appartiennent donc intégralement aux porteurs de projet.

Il s’agit là d’une dérive possible du système de crowdfunding, qui héberge autant de projets propriétaires que d’œuvres sous licence libre. La question du copyright se pose lorsqu’un projet, mené par une entité reconnue et commerciale, joue de sa popularité auprès du public pour lever des fonds en dehors du circuit traditionnel de production, et ainsi minimise les risques de rentabilité faible.

Perspectives d’avenir

A ce sujet, Ulule se veut rassurant. Les projets sont portés par leurs créateurs, et le fonctionnement de la plateforme permet l’autorégulation du système de micro-financements par le public, qui doit pouvoir faire confiance aux acteurs du projet avant d’en devenir le coproducteur. En somme, il s’agit de responsabiliser les porteurs de projets et les souscripteurs sur le bien-fondé d’une campagne. D’expérience, Alexandre Boucherot nous apprend que « les souscripteurs ne sont pas fidèles à une marque, ou une maison d’édition mais fonctionnent au coup de cœur, au projet avant tout ».

Il en va de même pour contrer les critiques sur la qualité des productions et le risque que présente « la loi de la demande guidant l’offre », notamment en matière de politique éditoriale. Le système du crowdfunding repose en grande partie sur des initiés connectés et en attente d’un univers visuel marquant ; pour autant celui-ci ne dessert pas les communautés traditionnelles du livre, puisqu’il permet à des librairies et des œuvres papier de voir le jour.

labo de l'édition libraires crowdfundingLe crowdfunding est une solution pour faire vivre des projets entre passionnés, il introduit un rapport horizontal entre les créateurs et leurs soutiens. C’est une évolution par rapport au système de financement traditionnel des œuvres culturelles qui repose sur les trois paradigmes suivants : celui du micro-financement, permettant une multitude de soutiens ; le pré-financement avant la production d’une œuvre ; la co-création d’un projet qui résulte de l’adhésion de consommateurs à la campagne.

Il s’agit donc pour le Labo de suivre de près les évolutions du financement éditorial participatif, et sa progression dans tous les secteurs du livre.

Clémentine Malgras

Pour en savoir plus sur la propriété intellectuelle et le crowdfunding, l’article de Calimaq.

Pour écouter le podcast de la conférence, https://soundcloud.com/labodeledition/bin-me-dition-et-crowdfunding

4 réflexions sur « #Crowdfunding : comment financer son projet éditorial ? »

  1. Très intéressant. Encore faut il savoir captiver et intéresser assez d’investisseur. Je doute que ce type de financement puisse valoir pour tous les projets.

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